mercredi 10 octobre 2007

Vingt-et-un grammes et c'est l'âme qui s'enfuit

Cafards cafards je ne suis faite que de cafards. Ils grouillent en moi, ils s'amoncellent, ils dégringolent, ils ont des rires francs et des hypocrisies lavées, ils me pourrissent la vie. C'est moi qui suis pourrie, c'est mon âme qui sent la charogne. Je tente parfois, dans des sursauts d'extase, d'exterminer les maudits, les sublimes cafards. Je coince un grand couteau blanc entre les gencives, je ramasse mes cheveux, je me concentre sur les cafards, sur le mal qui ronge mes membres. J'ai un geste pour m'ouvrir le ventre, et tous les suicider, un par un, mais la force me manque, le bras retombe, impuissant. Je vais pour essuyer le sang à mes lèvres, le couteau m'a fendu la joue, mais c'est inutile. Les cafards protestent. J'ai voulu les tuer, me tuer, je dois maintenant afficher ma trahison, mon infâme péché. Un violon gémit, au loin, des plaintes langoureuses, mon corps s'affaise, étranglé par la sinistre peur du vide. Car c'est sans doute cette peur, cette peur de l'absence et du non-être, qui m'a fait abaisser la main. Si je massacre mes cafards, que me restera-t-il à l'intérieur, sinon des cadavres de cafards? Rien. Un grand vide, un néant absolu. Et des masques, des centaines de petits masques empilés à me parer tous les jours pour faire croire au "bonheur". Il me faudrait m'habituer à une petite vie bête et méchante, à un bonheur gentil qui ne demande rien, juste quelques rayons de soleil. Il me faudrait me contenter de peu, être contrainte par la peur, la prudence dit-on, et par le mépris, cesser de donner pour un sourire, mais agir par intêret, fermer les mains, fermer les yeux pleins de songes. Il me faudrait me conformer, rentrer dans le rang avec des sourires faints, et me faire à cette idée d'une existence lasse, passée à amasser des cailloux, des tas et des tonnes de cailloux, les empiler dans la buanderie froide, pour survivre. Ne plus dire non, subir un point c'est tout. Il me faudrait vieillir. Je ne peux me résoudre à tuer mes cafards. Ils sont mon mal, c'est une douleur cruelle mais ils me tiennent en vie, par ce brasier qu'ils allument en moi.
Je soupire, 21 grammes et c'est l'âme qui s'enfuit.

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